
C’est un chiffre qui interpelle et inquiète : 93,25 % des marchés publics au Gabon ont été attribués par entente directe et ce depuis le début de l’année budgétaire 2025. Révélée lors du Conseil des ministres du 30 mai dernier, cette donnée n’est pas anodine. Elle met en lumière un dysfonctionnement profond du système de passation des marchés au Gabon, où l’exception s’est progressivement imposée comme règle, fragilisant les fondements même de la bonne gouvernance. Cette façon de faire, devient-elle une norme dans notre gouvernance ?
Ce que dit ce chiffre, c’est l’effondrement progressif du cadre légal, au profit d’une pratique dérogatoire censée être l’exception, mais devenue la règle. Or, selon l’article 71 du Code des marchés publics, l’entente directe ne doit pas dépasser 15% des passations. Ce seuil a été littéralement pulvérisé, mettant à nu une administration rongée par la facilité, et des mécanismes de contrôle inopérants, voire complices.
Dans un pays où chaque franc public doit compter, où les besoins sociaux et économiques sont immenses, cette dérive est lourde de conséquences. Elle prive les PME locales de toute chance équitable d’accès aux marchés publics, nourrit les pratiques clientélistes, étouffe la concurrence, et détourne les ressources au profit d’un cercle restreint de privilégiés.
De ce fait, le président Brice Clotaire Oligui Nguema a ouvertement dénoncé cette situation lors du dernier Conseil des ministres, appelant à une rupture claire avec les pratiques du passé. Il a été rejoint dans cette posture par le ministre d’État en charge de l’Économie, Henri-Claude Oyima, qui incarne désormais une volonté affichée de rigueur et de transparence dans la gestion publique.
Un audit exhaustif des marchés publics, sur les cinq dernières années, s’impose comme une priorité. Tout comme la publication systématique des marchés passés par entente directe et l’identité des véritables bénéficiaires, en application de l’arrêté n°032-22/MER/MBCP du 17 juin 2022. À cela doit s’ajouter la réaffirmation, sans équivoque, de l’appel d’offres comme norme absolue et non comme une option secondaire.
Car cette situation n’est pas seulement une anomalie administrative. C’est un obstacle majeur au développement économique, une entrave à la justice sociale, et une source chronique de corruption. Elle dissuade les investisseurs, marginalise les entrepreneurs honnêtes, et entretient un sentiment d’injustice généralisée.
Le redressement économique ne pourra se faire sans une réforme en profondeur des pratiques de commande publique. Cela signifie : plus de transparence, plus de responsabilité, plus de règles respectées. Et cela commence par l’exemplarité des institutions.