
Lancée le 2 juin dernier, l’opération de déguerpissement des populations vivant à Plaine-Orety, notamment derrière l’Assemblée nationale et aux abords des ambassades de Russie et du Liban, continue d’alimenter des débats et controverses. Ce qui semblait initialement une mesure d’assainissement urbain a vite pris une tournure politique et sociale, exposant les contradictions entre intentions gouvernementales, attentes populaires et vérités de terrain.
Une rencontre présidentielle porteuse d’espoir ?
La rencontre organisée mardi dernier, entre les représentants des sinistrés et le président de la République, chef du gouvernement, Brice Clotaire Oligui Nguema, au palais Rénovation, avait été perçue comme un geste d’ouverture. Sur les réseaux sociaux, de nombreux Gabonais ont salué un acte de dialogue et de responsabilité. Les images, diffusées par la télévision nationale, montraient un chef de l’État à l’écoute, attentif aux doléances d’une population en détresse.
Des messages de félicitations ont alors fleuri en ligne : « félicitations Excellence Monsieur le Président pour votre pragmatisme », écrivait un internaute. « Discuter face à face avec les populations est la meilleure des approches », saluait un autre. « Une population n’est pas un objet mais des êtres humains », pouvait-on encore lire.
Une amertume révélée par un enregistrement
Cet élan d’optimisme a cependant été rapidement refroidi par la diffusion d’un enregistrement audio supposé provenir d’un des représentants des déguerpis. Celui-ci y rapporte les propos tenus en privé par le président, bien différents du ton conciliant affiché publiquement : « si tu construis sur le terrain de quelqu’un, selon la loi, soit tu soulèves tes biens, soit tu les casses toi-même », aurait-il déclaré, avant d’ajouter : « vous avez tort, l’État ne va pas reculer ».
Ce document sonore, largement partagé, a fait l’effet d’une douche froide. Il met en lumière une fracture entre la communication politique et le ressenti des citoyens, nourrissant un sentiment d’injustice et d’abandon.
Quand la transparence vacille
L’audio confirme également que l’ordre de démolition venait directement du chef de l’État : « le président de la République lui-même nous a confirmé qu’il a donné l’ordre de casser. Nous sommes des squatters », affirme la voix de l’un des porte-paroles. Des déclarations qui viennent clarifier les responsabilités, longtemps floues et sujettes à des accusations croisées entre responsables politiques, dont l’ancien Premier ministre, Raymond Ndong Sima. Ce manque de transparence pourrait ainsi fragiliser un peu plus la crédibilité du pouvoir et accentuer la détresse d’une population déjà éprouvée par la perte de son logement.
L’image avant la justice sociale ?
Dans cette affaire, les autorités semblent avoir privilégié la stratégie de l’image à une véritable politique de réparation et d’accompagnement. Une logique de gouvernance marquée par la communication, comme l’illustre cette citation : « la communication politique est pour le système politique ce qu’est le sang au système sanguin ». Les déguerpis de Plaine- Orety deviennent ainsi les témoins d’un malaise plus profond : celui de la rupture de confiance entre l’État et les citoyens. Une fracture que, semble-t-il, seule une politique fondée sur la vérité, la justice et la reconnaissance des droits humains pourra certainement résorber. Car si l’État doit agir pour l’intérêt général et le respect des règles d’urbanisme, il lui revient aussi de protéger les plus faibles, avec humanité et responsabilité.